Aux frontières du plan Colombie

 

février 2005

Par Hernando Calvo Ospina
Journaliste.
Auteur notamment de Rhum Bacardi. CIA, Cuba et mondialisation, EPO, Bruxelles, 2000.

 

Stratégie militaire américano-colombienne, le plan Colombie de lutte contre les guérillas n’a en rien permis de résoudre le conflit qui déchire ce pays. En revanche, il commence à affecter les nations voisines. Par sa politique d’ingérence extraterritoriale, il viole la souveraineté des Etats et frappe directement les populations de la région.

 

Selon un rapport de la Commission des Nations unies pour le commerce et le développement (Cnuced), le Panamá a été, durant le premier semestre de 2004, le pays qui a le plus bénéficié d’investissements étrangers directs (avec Singapour, la Belgique et le Luxembourg) (1). Ce document omet de préciser que c’est le capital colombien qui dynamise ainsi l’économie panaméenne. Tant pour l’entrepreneur Iván Ruiz que pour le directeur de la publication Capital financiero, Orlando Mendieta, ces investissements sont l’une des conséquences du plan Colombie (2). En effet, en raison de ce plan, la guerre interne qui déchire la Colombie s’est intensifiée, provoquant une fuite des capitaux. Les enquêtes officielles sont quasi inexistantes, mais les connaisseurs assurent que si du « capital légal » s’investit dans le pays, du capital d’un « genre très particulier » y pénètre en plus grande quantité.

Filiales, en majorité, d’établissements américains et européens, les banques ferment les yeux. Doyen de l’Université spécialisée des Amériques (Ciudad de Panamá), M. Alexis Rodríguez soutient : « L’invasion militaire de 1989 s’est faite sous le prétexte de nettoyer l’économie des capitaux provenant du narcotrafic, mais il n’y a même pas eu d’enquête à ce propos. Washington ressortira le thème, si nécessaire, pour faire chanter un gouvernement qui s’opposerait à sa stratégie de domination continentale. » Et l’un des aspects de cette stratégie ­ dans laquelle le Panamá peut se retrouver piégé ­s’appelle plan Colombie.

Non loin des quartiers luxueux de la capitale, à Curundú, où la pauvreté règne, on n’a jamais vu d’investissements colombiens. Seuls arrivent depuis un demi-siècle des Colombiens déplacés. Comme, ces dernières années, leur nombre a considérablement augmenté, de nombreux Panaméens ont le sentiment que les nouveaux venus leur volent les quelques emplois existants, qu’ils les « envahissent » avec leur drogue, leur violence et leur misère.

Il est incontestable que des Colombiens ont été impliqués dans des actes criminels, que l’offre de drogue a augmenté et que, acceptant de travailler au noir, ils ont parfois pris la place de Panaméens sur le marché du travail. Il est tout aussi vrai que les effets négatifs de cette migration sont exagérés, pour occulter l’incapacité de l’Etat à résoudre les problèmes sociaux, source de diverses formes de délinquance. Dans ce pays de 2,8 millions d’habitants, 35 % de la population active sont au chômage (3). Une situation qui n’est pas née, en 2000, avec le plan Colombie...

La guérilla colombienne a toujours pénétré dans son « sanctuaire » du Panamá pour se reposer et se ravitailler, « sans affecter les activités de la région ni les habitants. Parfois, ils [les guérilleros] surgissaient, fuyant l’armée, mais retournaient toujours en Colombie (4). » Cette approche a été confirmée par M. Oswaldo Fernández, alors directeur de la police nationale, le 29 septembre 2000 sur le plateau de l’émission « Enfoque » de la chaîne télévisée Canal 4.

Lorsque, à la fin des années 1980, dans les zones bananières, les paramilitaires, avec la complicité des forces de sécurité, se sont mis à massacrer les civils, considérés comme des alliés de la guérilla, la population s’est réfugiée au Panamá. Quand le plan Colombie fut adopté, les paramilitaires contrôlaient la zone frontière dans sa quasi-totalité et l’utilisaient également pour exporter cocaïne et héroïne vers les Etats-Unis.

« Les problèmes, à la frontière, ont commencé avec les paramilitaires, confirme M. Alexis Rodríguez. Ils ne la traversaient pas pour chercher la guérilla, mais pour éliminer ceux qui, Panaméens ou Colombiens, étaient supposés collaborer avec elle. » Quelques exemples confirment ses dires : l’attaque, en octobre 2000, lancée contre des habitants de Nazaret, à 10 kilomètres à l’intérieur du Panamá (une fillette tuée, six nourrissons blessés) ; l’assaut du hameau de Yala, le 18 janvier 2003, au cours de duquel trois caciques de l’ethnie kuna furent assassinés. A cette occasion, le gouvernement colombien mit immédiatement en cause la guérilla, mais les paramilitaires eux-mêmes revendiquèrent leur action.

Devant l’escalade de la violence, la ministre des affaires étrangères colombienne, Mme Carolina Barco, affirma que les autorités des deux pays s’étaient engagées « à augmenter leur échange d’informations et les patrouilles dans la zone frontière pour dissuader les rebelles d’extrême gauche et les paramilitaires d’extrême droite (5 ». La « dissuasion » se dirigeait en fait contre ceux qui cherchaient refuge au Panamá. Dans une lettre envoyée aux présidents Alvaro Uribe et Mireya Moscoso, Amnesty International leur demanda d’« enquêter sur l’enlèvement et la disparition de deux réfugiés colombiens, détenus par des membres de l’unité spéciale de la police et du département du renseignement du Panamá », le 21 avril 2003 (6). D’après Amnesty, tandis que les deux hommes étaient torturés, on menaçait les autres réfugiés de les livrer aux paramilitaires.

Le Haut-commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) a dénoncé le non-respect des accords internationaux relatifs aux réfugiés par les deux Etats. Sans résultat. Lors d’une conférence de presse tenue à Genève, le 25 avril 2003, le porte-parole du HCR, M. Ron Redmond, a confirmé que les autorités panaméennes continuaient d’arrêter des Colombiens et à les déporter, souvent de manière violente. Les autorités colombiennes les réinstallent régulièrement dans des zones dominées par les paramilitaires, sans se préoccuper de leur sécurité. D’après le rapport conjoint des Defensorías del pueblo (défenseurs du peuple) colombienne et panaméenne en 2003, le responsable de la police nationale panaméenne, M. Carlos Barés, prétend que ne pas déporter les réfugiés colombiens constituerait « un appui aux collaborateurs de la guérilla ».

Pendant longtemps, le Panamá avait fait preuve d’une certaine neutralité face au conflit colombien. Depuis l’instauration du plan Colombie, le gouvernement de Mme Mireya Moscoso (1999-2004) a modifié cette attitude. Certains ont rappelé que le traité Torrijos-Carter (7) fait de la neutralité panaméenne le garant de la sécurité du canal interocéanique. Faisant valoir la nécessité de protéger l’hémisphère du « terrorisme international » et du « narcoterrorisme », les Etats-Unis, très subtilement, ont multiplié les pressions.

Comment le Panamá pourrait-il se protéger d’une quelconque agression extérieure quand on sait qu’il ne dispose pas d’armée ? En effet, la Force de défense panaméenne a été démantelée après l’opération « Juste cause » de décembre 1989, et remplacée par une Force publique dépourvue de moyens. La réponse se trouve dans le traité Torrijos-Carter : les Etats-Unis s’en chargeront. Le traité de neutralité, signé en même temps que le traité Torrijos-Carter, permet à Washington d’intervenir unilatéralement si la neutralité ou la sécurité du canal sont en danger...

Au cours d’une émission de télévision sur ces questions, diffusée le 29 septembre 2000 sur Canal 4, l’animatrice panaméenne demanda à ses invités : « Qui nous oblige à entrer dans le conflit colombien ? Pourquoi ? Quelle relation y a-t-il avec le plan Colombie ? » Et l’ex-ministre de l’intérieur, Mme Mariela Sagel, répondit : « Cette attaque [contre la ville de Nazaret, en octobre 2000] a lieu au milieu d’une campagne agressive, menée tant par la Colombie que par les Etats-Unis, pour que les pays frontaliers s’impliquent dans le plan. Je crois que le Panamá et le Venezuela, qui ont été les premiers à dire qu’ils n’y participeraient pas, sont l’objet de pressions. Avec l’attaque de Nazaret, ils veulent nous obliger à accepter. » La présentatrice commenta : « On pourrait dire que les intéressés sont l’armée colombienne, des secteurs américains et les paramilitaires, qui, nous le savons tous, obéissent, d’une manière ou d’une autre, à des agences internationales ou à des appareils militaires. » L’ex-ministre ne put qu’approuver : « Comme vous le savez, les Etats-Unis disposent de diverses agences qui, parfois, ne se consultent pas. Il arrive que celles qui s’occupent des paramilitaires aient un agenda quand le département d’Etat en a un autre... »

En mars 2003, alors qu’il était le chef du Southern Command (le commandement Sud de l’armée des Etats-Unis), le général James Hill organisait à Miami une conférence sur la sécurité continentale ayant pour thème central la façon de protéger la région « de la contagion colombienne et du terrorisme en général ». M. Hill soutint que le Panamá était menacé d’une possible « invasion narcoterroriste » depuis la Colombie. En conséquence, le Panamá et les Etats-Unis exploraient de nouveaux mécanismes de protection de la frontière : « L’un d’entre eux serait d’entamer une deuxième phase de l’opération "Nouveaux horizons". » Un assistant du général expliqua qu’il s’agissait d’actions civiques, « principalement menées avec des médecins, des ingénieurs et un autre type de personnel : cette présence de militaires américains ­ même si elle était humanitaire ­ aurait pour effet de mettre en fuite les groupes armés colombiens ». M. Hill précisa que les Etats-Unis entraînaient des policiers panaméens pour surveiller la frontière, mais, ajouta-t-il, « une invasion narcoterroriste touche à la souveraineté, et cela est un thème militaire ».

En août 2004 a eu lieu un exercice naval organisé par le Southern Command ­ « Panamax » ­ auquel ont participé, outre le Panamá, l’Argentine, le Chili, la Colombie, la République dominicaine, le Honduras et le Pérou. Objectif : préparer la défense du canal de Panamá contre une attaque terroriste.

Le commandant en chef du Southern Command, le général Jack Gardner, a été vu au Panamá le 16 novembre 2004. Quand les journalistes, surpris, lui ont demandé ce qui motivait sa présence, ce haut responsable militaire a répondu avec assurance : « Nous venons conseiller le gouvernement pour la réalisation de quelques projets humanitaires  (8).  »

Trois jours auparavant, le secrétaire à la défense, M. Donald Rumsfeld, séjournait également dans le pays, cette fois officiellement. D’après l’ex-ministre panaméen du travail Mitchell Doens, cette visite confirmait que le Panamá « fait partie du "système de défense régional", sous la direction du gouvernement des Etats-Unis, et ne défend pas sa propre conception de sa sécurité, ni ses propres intérêts ». M. Doens dénonce « les accords administratifs de sécurité » signés par l’ex-présidente Mireya Moscoso, « mais élaborés par les gouvernements antérieurs (9), qui permettent aux autorités civiles et militaires américaines d’agir dans le pays comme si elles y étaient souveraines, contrôlant la terre, l’air et la mer, les frontières, les communications publiques et privées, les douanes et les services d’immigration ».

« Le général Omar Torrijos disait que le canal, alors propriété des Etats-Unis, était notre cinquième frontière, remarque M. Iván Ruiz, ex-membre de la Force de défense organisée en son temps par Torrijos. Comme il me paraît difficile que le gouvernement de Martín Torrijos [fils du général Torrijos, élu président le 2 mai 2004] refuse de se soumettre aux plans des Etats-Unis, il est très possible que renaisse la cinquième frontière, sous forme de bases militaires, pour nous contraindre à nous impliquer dans le conflit colombien. »

Dans sa déclaration annuelle devant le Congrès américain, début 2004, le général Hills, à l’époque chef du Southern Command, affirma que le président colombien Alvaro Uribe « faisait des progrès exceptionnels dans sa lutte contre le narcotrafic, transformant son pays en un Etat pacifique et sûr », grâce au plan Colombie (10). Dans le même temps, il mettait en cause le président vénézuélien Hugo Chávez, accusé de diriger « le populisme radical » en Amérique latine, ce qui ferait de lui « une menace émergente » pour « la sécurité nationale des Etats-Unis ». M. Hill reprocha par ailleurs au président Chávez son refus de participer au plan Colombie.

A peine arrivé au pouvoir, M. Chávez a effectivement annoncé que le Venezuela demeurerait neutre dans le conflit colombien et qu’il n’appuierait que les initiatives destinées à lui trouver une solution politique. D’après lui, il fallait éviter de s’engager dans la voie d’une « vietnamisation » régionale. Néanmoins, bien que le président vénézuélien respecte cette démarche, le plan Colombie paraît obstiné à vouloir impliquer son pays. Directeur du Front civico-militaire bolivarien, le lieutenant-colonel Héctor Herrera Jiménez soutient qu’avec le plan « le président Uribe laisse utiliser son pays comme plate-forme belliqueuse, dans le cadre de la stratégie américaine cherchant à appliquer un modèle néocolonial dans la région andine ». Pour sa part, le général Melvin López Hidalgo, secrétaire général du Conseil de défense vénézuélien, affirme que « la révolution bolivarienne constitue un caillou dans la chaussure de ce projet, du fait de son indépendance politique sur le plan international et du leadership régional qu’elle a obtenu ».

Dans les faits, le plan Colombie constitue une sorte de tenaille militaire et paramilitaire qui enserre le Venezuela. « Pour neutraliser l’actuel processus vénézuélien, des opérations militaires de basse intensité, des opérations couvertes, clandestines, non conventionnelles de pénétration sont organisées depuis la Colombie », confie le lieutenant-colonel Herrera Jiménez. Et les deux militaires s’accordent sur un point : le plan cherche à créer une déstabilisation sociale, économique, politique et militaire menant à une situation de violence et d’ingouvernabilité au Venezuela.

Ce pays est « géré » depuis plusieurs bases militaires colombiennes et depuis une autre installation louée par Washington aux Pays-Bas, dans l’île d’Aruba. Toutefois, la base située sur les terres de la compagnie pétrolière Occidental Petroleum, à Saravena, dans le département colombien d’Arauca, zone frontalière avec l’Etat vénézuélien d’Apure, est à l’heure actuelle celle qui préoccupe le plus les Vénézuéliens. Quatre cents soldats des forces spéciales et employés de compagnies militaires privées américaines y sont cantonnés (11). « Nous savons qu’ils n’entraînent pas seulement les militaires colombiens, mais aussi les paramilitaires, remarque le général López Hidalgo. Ceux-ci traversent la frontière pour agresser nos citoyens, commettre des actes délictueux et provoquer une réaction de nos forces de défense. »

Peu peuplé, le département d’Arauca est le plus militarisé de Colombie. Malgré cette présence de l’armée, le paramilitarisme s’y est consolidé à la fin 2001, après avoir commis des milliers d’assassinats et avoir fait fuir les survivants. En coordination avec l’armée, les paramilitaires ont repeuplé de nombreux villages, les transformant en « hameaux stratégiques » similaires à ceux du Vietnam et du Guatemala, principalement à proximité de la frontière et de l’oléoduc Caño Limón-Coveñas. Dans les mois qui ont précédé et suivi l’éphémère coup d’Etat contre le président Chávez d’avril 2002, les paramilitaires ont été actifs en territoire vénézuélien.

Le 17 octobre 2004, à Guasdualito, près de Saravena, cinq militaires et une ingénieure de l’industrie pétrolière ont été assassinés. Moins de vingt-quatre heures plus tard, le gouvernement colombien accusait les Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC). « Le communiqué donnait beaucoup de détails, précise le lieutenant-colonel Herrera Jiménez, comme s’ils avaient tous été connus à l’avance. Les vérifications ont montré qu’il s’agissait de paramilitaires. »

Le gouvernement colombien et la plupart des médias des deux pays ne perdent pas une occasion d’accuser la guérilla des attentats commis contre la population vénézuélienne tout en insinuant que le président Chávez n’y fait pas obstruction. La guérilla, elle, considère la neutralité de M. Chávez comme un fait positif. Elle ne nie pas être responsable de « quelques actions condamnables » contre les civils. Mais tant les FARC, par la voix du commandant Raúl Reyes, que l’Armée de libération nationale (ELN), par celle du commandant Milton Hernández, affirment que les décisions politiques et stratégiques approuvées au cours des dix dernières années postulent de ne pas réaliser d’actions militaires ou économiques, ni de s’immiscer dans la vie politique des pays voisins, espérant d’eux « la réciprocité et le respect ».

Gouverneur de l’Etat vénézuélien d’Amazonas, M. Liborio Guarulla témoigne : « Les guérilleros ne provoquent pas d’insécurité. S’ils traversent la frontière, c’est pour faire des achats, et ils le font toujours désarmés. En revanche, les paramilitaires nous créent des problèmes : leur cruauté fait fuir les indigènes colombiens jusque chez nous. »

Dans les Etats de Zulia et du Táchira, les relations des familles mixtes vivant des deux côtés de la frontière et les traditionnels échanges économiques ont été affectés par le conflit. D’après le directeur du Conseil national des frontières, M. Feijóo Colomine, environ 100 000 déplacés sont arrivés au cours des cinq dernières années, parmi lesquels se sont glissés des délinquants, des narcotrafiquants et des paramilitaires (12). La criminalité a augmenté, tout comme le trafic de stupéfiants et le blanchiment d’argent sale. Les paysans, syndicalistes et autres dirigeants de mouvements sociaux colombiens ayant cherché refuge au Venezuela ont dû devenir « invisibles », de crainte d’être assassinés ou capturés et renvoyés en Colombie par certains secteurs des services de sécurité antichavistes, qui travaillent en collaboration avec les Colombiens et leurs paramilitaires (voir Selon ce que vous serez...).

De l’autre côté de la frontière se trouve la ville de Cúcuta, considérée comme la capitale et le siège social du paramilitarisme dans l’est de la Colombie. Le principal dirigeant paramilitaire, M. Salvatore Mancuso, détient le pouvoir sur une bonne partie de cette frontière, contrôlée par ses hommes depuis 1999. Ils y organisent la contrebande d’essence, activité inexplicablement légalisée par le président Uribe dans le cadre des « actions de développement social » du plan Colombie, en novembre 2003. Ils ont également multiplié les cultures de coca et ont aménagé des routes pour l’exportation des drogues illicites.

En Colombie, on ne s’en cache guère : « Le renforcement du paramilitarisme constitue l’axe de la projection vers le territoire vénézuélien. (...) On peut en déduire que les plans du paramilitarisme s’internationalisent au Venezuela (13).  »

Une application concrète de cette stratégie a été mise en évidence, le 9 mai 2004, quand 130 paramilitaires colombiens ont été capturés dans une propriété située à 20 kilomètres de Caracas. Dans le groupe figuraient 40 réservistes et une vingtaine de soldats professionnels. Il était prévu que, le 12 mai, ils attaqueraient plusieurs installations militaires vénézuéliennes et s’empareraient de l’armement. On n’exclut pas qu’ils aient envisagé d’assassiner le président Chávez. Les assaillants auraient porté des uniformes vénézuéliens, l’opération passant ainsi pour un soulèvement de « militaires vénézuéliens ». La réaction attendue de la majorité de la population et des militaires fidèles à M. Chavez aurait permis de porter le cas vénézuélien sur la scène internationale en parlant de « chaos » et d’un « danger de déstabilisation », motifs permettant d’envisager une intervention extérieure ayant pour principaux instigateurs les Etats-Unis et la Colombie.

D’après les résultats d’enquêtes présentés par les autorités vénézuéliennes, le transport et l’armement des mercenaires ont été organisés par des autorités civiles et militaires opposées à M. Chávez, du Zulia et du Táchira. Le « coup » fut initié par le commandant de l’armée colombienne, le général Orlando Carreño Sandoval, l’exécutant le plus dynamique du plan Colombie. Il semblerait que l’échec et les traces qu’il a laissées lui aient coûté son poste quelques mois plus tard.

Parmi les plans de développement social mis en place par le gouvernement de Caracas, la zone frontière, historiquement délaissée, est devenue prioritaire. Dans les endroits les plus reculés, on note déjà des progrès en matière d’éducation et de santé. Oubliés par leur gouvernement, les Colombiens suivent l’expérience avec intérêt. « Ils viennent tous les jours pour qu’on leur fournisse des soins médicaux, dentaires et ophtalmologiques, car maintenant, ici, c’est gratuit », explique le gouverneur Guarulla, tandis que, de son côté, M. Feijóo Colomine analyse : « Uribe et Washington craignent beaucoup cette démonstration : il est possible d’apporter le développement aux populations autrement que par la voie militaire. Simplement en mettant à leur service les richesses de la nation. »

Pour sa part, le général vénézuélien López Hidalgo se montre catégorique : « Nous devons organiser un grand débat sur le plan Colombie, car il met notre souveraineté en danger. On cherche à provoquer l’hostilité entre les deux peuples, peut-être même une guerre, pour que des tiers tirent la couverture à eux : les Etats-Unis et leurs multinationales. Mais soyez-en sûr : ils ne passeront pas ! »

(1) Rapport sur l’investissement dans le monde, Cnuced, Genève, 22 septembre 2004.

(2) Le 23 septembre 1999, le président colombien Andrés Pastrana a obtenu de Washington une aide de 1,6 milliard de dollars sur trois ans « pour affronter le narcotrafic » ­ en réalité pour lutter contre les guérillas. Cette aide a été reconduite depuis, par tranches successives, dans le cadre du même plan, devenu Initiative régionale andine.

(3) Quatre Panaméens sur 10 vivent au-dessous du seuil de pauvreté ; 2 sur 10 dans l’extrême pauvreté. Nestalí Geneteau, « Más panameños al sector informal », Capital Financiero, Panamá, 27 septembre 2004.

(4) Herasto Reyes, « Darién o la tranquilidad endeble », La Prensa, Panamá, 13 août 2000.

(5) La Prensa, 29 janvier 2003.

(6) Amnesty International, « Panamá/Colombia : la seguridad de las fronteras no debe infringir el derecho internacional sobre refugiados », Londres, 23 avril 2003.

(7) Signé entre les présidents James Carter et Omar Torrijos, le 7 septembre 1977, le traité prévoyait le transfert au Panamá, au 31 décembre 1999, de la souveraineté sur le canal ainsi que le départ progressif des bases militaires américaines implantées dans sa zone de protection.

(8) La Prensa, 17 novembre 2004.

(9) Lire Maurice Lemoine, « Panamá récupère son canal », Le Monde diplomatique, août 1999.

(10) « El Comando Sur enfrenta peligros emergentes y tradicionales », American Working Group, Washington Office on latin America and Interhemispheric Resource Center, Washington, 24 juillet 2004.

(11) Lire le dossier « Où l’on reparle des mercenaires... », Le Monde diplomatique, novembre 2004.

(12) « Plan Colombia : incidencia en la seguridad y defensa de la nación », conférence donnée à l’Université bolivarienne, Caracas, 3 octobre 2004.

(13) El Espectador, Bogotá, 16 mai 2004.